5 Septembre 2022
Résumé
Dans l'Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, une gamine sans père ni mère, presque sans nom («Ambre» a tout l'air d'un sobriquet de théâtre), décide d'user de ses charmes - son seul bien au soleil - pour conquérir le monde. Gloire, honneurs, fortune, plaisirs : il lui faut tout. Et l'immoralité de l'époque aidant, elle aura tout, taillant à vif s'il le faut dans la chair de ses rivaux et rivales - qui lui donnent joyeusement l'exemple, puisque du haut en bas de l'échelle sociale tout n'est qu'intrigue, trahison, mensonge, dépravation. Cette vaste fresque picaresque qui ne nous fait grâce de rien - et qui inspira à Otto Preminger un grand film - avait fait scandale, lors de sa parution.
Avis
Un vrai petit bijou ! Kathleen Winsor signe un chef-d’œuvre grâce à son livre Ambre (Amber Forever de son titre original) et ne se cache d'ailleurs pas de l'avoir écrit dans le but d'en faire un Best-Seller. Du reste, c'est ce qu'il fut à sa sortie (1944 aux USA, 1946 en France) et Otto Preminger en fit même une adaptation cinématographique en 1947 (pas vraiment réussie). Sa lecture est toujours aussi fascinante de nos jours. Grâce à son héroïne, jeune paysanne avide de grimper les échelons sociaux pour épouser l'homme qu'elle aime profondément, nous parcourrons l'Histoire de la période révolutionnaire anglaise à la Restauration de Charles II et découvrons toutes les catégories sociales qui peuplaient l'Angleterre de cette époque : des campagnards puritains à la Cour frivole, en passant par les brigands de Newgate ou encore les premières actrices du Théâtre Royal. Nous assistons entre autres à la Grande peste de 1665 et au Grand incendie de 1666 qui dévastèrent Londres, impuissants et horrifiés sous la justesse des descriptions de l'auteur.
Le vocabulaire riche et toujours approprié, les images frappantes employées et les aventures toujours insolites de l'héroïne attisent la curiosité et l'envie de lire du lecteur. On commence les premières pages sans savoir que l'on ne sera plus capable de lâcher le livre tant on veut connaître la suite. Et pourtant, c'est un pavé de presque 900 pages ! C'est d'ailleurs le seul reproche que l'on pourrait faire à ce roman historique, ce nombre de pages énorme qui peut rebuter les moins adeptes de la lecture. Cela se justifie pourtant puisque l'intrigue se déroule sur plus de dix ans ! De plus, pour ceux et celles qui hésiteraient toujours à se lancer dans cette découverte, une édition en deux tomes existe.
Outre la qualité excellente du style de l'auteur, on peut aussi saluer le travail effectué sur ses personnages tous plus complexes les uns que les autres. Aucun ne tombe dans un cliché gnan-gnan insupportable. Tous ont des qualités et des défauts qui les rendent réalistes, « humains » et donc attachants. Ambre, bien qu'égoïste et pas des plus brillantes, saura vous conquérir au point que vous pardonnerez sa conduite rarement morale et parfois insensible. Lord Carlton vous ravira autant qu'il vous dégouttera. Enfin, les aficionados des « relations toxiques » seront aux anges quant à l'amour que partage ces deux personnages, profond mais destructeur, sincère et pourtant souvent cruel.
Conclusion
Bref, voici un livre à lire à tout prix pour les adeptes des relations compliquées et ravageuses qui cherchent en plus à apprendre en lisant. Un must-have dans la bibliothèque d'une romantique en herbe !
AMBRE :
Auteur : Kathleen Winsor
Editeur : Éditions du Pavois
Date de parution : 1946
Prix : Occasion
KATHLEEN WINSOR – Biographie
Kathleen Winsor (née en 1919 et morte en mai 2003) est un écrivain américain. Née dans une petite ville du Minnesota, elle a grandi à Berkeley en Californie. Elle entame des études à l’université de Californie dont elle sort diplômée en 1938. Elle se marie à 17 ans avec Robert Herwig, dont le sujet de recherche sur Charles II attise son intérêt pour la période de la Restauration en Angleterre. Elle devient alors célèbre pour son livre à succès Ambre (Forever Amber) qui est adapté au cinéma en 1947 par Otto Preminger sous le même titre. Mais le roman est condamné pour ses passages érotiques et classé parmi les œuvres pornographiques. Quoi qu’il en soit, Ambre se vend à plus de trois millions d’exemplaires, est traduit en de nombreuses langues et s’impose comme le livre à succès américain des années 1940. En 1946, Winsor divorce de Robert Herwig et se remarie avec le clarinettiste et jazzman Artie Shaw, devenant ainsi sa sixième femme après (entre autres) les actrices Lana Turner et Ava Gardner. Winsor renoue un peu avec le succès commercial en 1950 avec le roman Star Money. Mais ses romans suivants (dont le dernier est paru en 1986) ne laisseront pas grand souvenir dans la mémoire du public.
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CITATIONS
« - Je ne crois pas que la guerre finisse de sitôt , Judith, dit-il enfin. Elle peut durer longtemps encore, des années peut-être.
Judith s'arrêta et le contempla d'un air incrédule. A dix-sept ans, six mois sont un siècle; un an, une éternité ! Elle ne pouvait pas et ne voulait pas se représenter les années s'écoulant ainsi, tous deux séparés.
- Des années, John ! s'écria-t-elle. Mais ce n'est pas possible ! Qu'allons-nous faire ? Nous serons vieux avant même de commencer à vivre ! John ... »
« Londres - puant, sale, bruyant, querelleur, coloré - était le cœur même de l'Angleterre et ses citoyens gouvernaient la nation.
Ambre avait l'impression de ses retrouver chez elle et, au premier coup d’œil, comme elle était tombée amoureuse de lord Carlton, elle tomba amoureuse de Londres. Cette vie intense, violente, énergique répondait à ses aspirations les plus profondes et les plus vives. Cette ville était un défi, une provocation. Elle osait tout, et promettait plus encore. instinctivement - comme tout bon Londonien - elle sentit qu'elle avait vu tout ce qu'il y avait à voir. Nulle ville au monde ne pourrait soutenir la comparaison. »
« Ses cheveux, couleur de miel, tombaient en vagues épaisses sur ses épaules et quand elle leva son regard vers lui, ses yeux clairs, d'ambre moucheté, parurent s'abaisser légèrement dans les coins. Ses sourcils étaient noirs, bien dessinés et elle avait d'épais cils noirs. Il y avait en elle quelque chose de luxuriant, de chaud, qui faisait naître immédiatement chez les hommes de prometteuses suggestions - quelque chose dont elle n'était pas responsable, mais dont elle avait une conscience aiguë. De cela plus que de sa beauté les autres jeunes filles lui en voulaient. »
« - Oh ! Londres ! Londres ! s'écria-t-elle d'une voix passionnée. Comme je t'aime !
Bruce sourit, enleva son chapeau et, s'approchant d'elle par derrière, lui passa le bras autour de la taille :
- Vous tombez facilement amoureuse !
Et, comme elle se retournait vivement vers lui, il ajouta :
- Londres dévore les jeunes filles, vous savez !
- Pas moi ! affirma-t-elle triomphalement. Je n'ai pas peur ! »
« Elle s'abandonna à toute l'étendue de son désespoir. Ce fut peut-être le moment le plus triste de sa vie; elle n'avait aucun désir de paraître brave et de se dominer. Souffrir en silence n'était pas dans son caractère. Et, voyant qu'il ne courait pas tout de suite après elle, ainsi qu'elle l'avait espéré, elle devint de plus en plus hystérique, jusqu'à en vomir, finalement. »
« L'aimer ? Minette se mit à rire. Mon Dieu ! Depuis quand l'amour a-t-il quelque chose à voir dans le mariage ? Vous épousez celui qui vous convient et, si vous pouvez vous supporter l'un l'autre, eh bien ! ce n'en est que mieux. Sinon ... Elle haussa les épaules mais parlait sans le moindre cynisme précoce, - simplement avec le bon sens natif d'une Parisienne, et la bonne volonté de prendre le monde tel qu'il était. »
« - [...] Mon Dieu ! mais vous pourriez vivre à la Cour et avoir la plus belle situation que n'importe qui en Europe.
- Peut-être. Mais le prix en est trop élevé pour ma bourse.
- Mais vous serez plus riche que ...
- Je ne parle pas d'argent. Vous ne connaissez pas la Cour, Ambre. Vous ne l'avez vue que du dehors : beaux habits, bijoux et jolies manières. Ce n'est pas Whitehall, cela. Whitehall est comme un œuf pourri. A l'extérieur il a bonne apparence, brisez-le, il pue que c'en est une infection ... »
« Jamais les filles soumises n'avaient eu tant à faire. Le bruit courait que le meilleur remède contre la peste était une bonne maladie vénérienne et les maisons de passe de Vinegar Yard, Saffron Hill et Nightingale Lane étaient ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Filles et clients mouraient souvent ensemble et leurs corps étaient transportés au-dehors par une petite porte, afin de ne pas effrayer ceux qui attendaient dans l'entrée. Une sorte de fatalisme faisait dire à beaucoup qu'ils entendaient jouir de la vie avant que leur tour vînt. »
« Les gens mourraient à la cadence de 10 000 par semaine et plus ; il était effarant de penser que, parmi ceux qui mouraient, un pourcentage très élevé n'était pas même signalé. Les charrettes passaient toutes les heures, néanmoins des centaines de corps gisaient dans les rues ou dans les squares publics, souvent des jours entiers, dévorés par les rats. »
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