J'ai Lu ! La femme au miroir

 

 

Résumé


Anne vit à Bruges au temps de la Renaissance, Hanna dans la Vienne impériale de Sigmund Freud, Anny à Hollywood de nos jours. Toutes trois se sentent différentes de leurs contemporaines ; refusant le rôle que leur imposent les hommes, elles cherchent à se rendre maîtresse de leur destin.
Trois époques. Trois femmes : et si c'était la même ?

 

 

Avis


Par où commencer … tant tout est parfait ! Pour cause, il aura fallu quinze ans à l'auteur pour nous livrer cette merveille. Il est certainement de bon ton d'évoquer ce qui nous accroche en premier : cette couverture. Une femme élégante bien que de mise simple, très certainement riche, cherche à fuir le regard, à se cacher en abaissant son chapeau. Intrigué, on lit le résumé très accrocheur, court et concis, qui orne la quatrième de couverture et qui fait lien avec le titre très intéressant « La femme au miroir » ; et de fil en aiguille, on ouvre les premières pages pour les parcourir, tout d'abord avec curiosité, puis avec appétit. J'ai dévoré ce roman comme si je ne m'étais nourri de rien auparavant.
L'un de ses points remarquables est le vocabulaire : riche, toujours approprié et surtout adapté aux différentes périodes de nos héroïnes. L'auteur dépeint la vie de trois femmes différentes et semblables dans trois époques distinctes (Renaissance, début du XXème siècle et années 2000) et chaque fois que l'on entame un nouveau chapitre, le style et les mots choisis nous permettent de savoir d'instinct de quelle femme il s'agit. Un travail incroyable de justesse a été mené par Eric-Emmanuel Schmitt et cela ne rend que plus agréable la lecture.
Un deuxième point très appréciable est l'alternance des histoires. En effet, un roulement entre chaque destin est établi. Nous avons donc trois chapitres répartis comme suit et ce jusqu'à la fin du roman : celui d'Anne de Bruges (la béguine de la Renaissance), puis celui d'Hanna (la jeune aristocrate viennoise) et pour finir, celui d'Anny (cette jeune actrice à la carrière prometteuse). Cela permet de suivre l'évolution des trois personnages en même temps et comme tous sont liés, cela simplifie la lecture, permet de faire plus rapidement des rapprochements. De plus, chaque chapitre nous laisse sur notre faim. On quitte une héroïne avec tristesse et hâte de connaître la suite pour en retrouver une autre avec plaisir et ce jusqu'au dénouement final, qui, il faut bien l'avouer, est à la fois grandiose et subtil.
Une autre particularité que j'ai énormément appréciée est la correspondance d'Hanna von Waldberg. Si nous découvrons les deux autres protagonistes principaux de façon classique pour un roman, nous nous lions à Hanna par les lettres qu'elle envoie à sa chère « cousine » Gretchen. Un effet de style qui dynamise le roman et qui, en étant placé entre les deux autres histoires, évite la lassitude. Bref, voici un habile tour de passe-passe qui nous incite à continuer nos voyages dans le temps en instaurant de plus un certain piquant. En effet, Hanna dispose d'un sens de l'humour noir très développé ainsi que d'une propension à l'auto-dérision qui la rend très attachante.


***SUR LE FOND***
 

Eh oui, pas de spoilers cette fois-ci ! Si je commençais à vous donner des détails de l'histoire, je vous gâcherais le plaisir. Je vais donc me concentrer sur le fond sans vous dévoiler les secrets de l'intrigue.
Par le destin hors du commun et différent d'Anne, Hanna et Anny, Eric-Emmanuel Schmitt nous fait découvrir trois époques différentes avec des paradigmes pourtant similaires sur certains points. Le plus facile à repérer est celui de la place des femmes dans la société. Femme et esthétisme sont toujours associés : que ce soit pour Anne avec son fiancé, Hanna avec son mari ou pour Anny en tant qu'actrice. Le physique est donc une constante dans les époques, même si les standards de beauté ont évolué. La femme doit être belle et c'est ce que les héroïnes rejettent. Elles refusent également ce rôle ancestrale d'épouse et de mère qu'on leur colle à la peau. Pour être normale, il faut se marier et enfanter. Or, elles souhaitent être plus que de simples objets : visuels, pratiques. Elles souhaitent exister et s'épanouir dans ce qui leur plaît, vivre à leur guise et c'est ce qui les rend si incroyablement attachantes. Elles sont des figures du combat des femmes pour la liberté contre une vision purement masculine du monde. Paradoxalement, ce sont trois hommes qui leur permettront d'atteindre leur but, des personnalités à l'esprit ouvert et novateur.
Eric-Emmanuel Schmitt aborde également les différents concepts qui ont régi ces périodes : la religion pour la Renaissance avec la naissance du protestantisme et les horreurs de l'Inquisition, la naissance et l'essor de la psychanalyse pour le XX
ème siècle, et le culte de la beauté et de la chimie pour tout réparer à notre époque. Des visions majoritairement masculines dans lesquelles les femmes ont des difficultés à trouver une place singulière.
Je terminerai avec la place toute particulière que prend la nature dans ce récit grâce à Anne de Bruges. Particulièrement attachée aux animaux et à son environnement, Anne ne comprend pas son monde. C'est dans la nature qu'elle cherche à mieux se comprendre, en trouvant une harmonie avec la création de Dieu. En cela, elle démontre l'hypocrisie des hommes persuadés que Dieu a tout créé et pourtant sûrs de leur supériorité sur toutes les autres créations du Seigneur. Quand eux échouent à régler les problèmes par la violence, elle les balaie par le respect et l'altruisme. Une véritable ode au respect de la faune et de la flore qui m'a énormément touchée.

 


Conclusion

 

Un véritable coup de cœur ! Voici un livre, très riche à tous points de vue, à lire au moins une fois dans sa vie. Je ne connaissais pas cet auteur mais c'est avec plaisir et appétit que je vais me pencher sur ses autres ouvrages.
 



LA FEMME AU MIROIR  :
Auteur : Eric-Emmanuel Schmitt
Editeur :
Albin Michel
Collection : Romans Français
Date de parution : 17/08/2011
Prix : 22€

 

ERIC-EMMANUEL SCHMITT – Biographie

Éric-Emmanuel Schmitt, né le 28 mars 1960 à Sainte-Foy-lès-Lyon dans la région Rhône-Alpes, est un dramaturge, nouvelliste, romancier et réalisateur français naturalisé belge en 2008. Agrégé de philosophie, docteur, il s’est d’abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu, devenue un classique du répertoire international. Rapidement, d’autres succès ont suivi : Variations énigmatiques, Le Libertin, Hôtel des deux mondes, Petits crimes conjugaux, Mes Evangiles, La Tectonique des sentiments… Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l’Académie française. Son œuvre est désormais jouée dans plus de quarante pays. En 2006 il écrit et réalise son premier film: Odette Toulemonde. Toutes ses œuvres en français sont éditées par Albin Michel.

 

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CITATIONS

 

"Te souviens-tu de ces incroyables canifs de l'armée, à Genève, qui, outre leur lame, recélaient un ouvre-boîte, un tournevis et un poinçon ? Tous les messieurs en raffolaient. Eh bien, voilà Franz ! Ce n'est pas un homme mais un couteau suisse. Il a toutes les qualités, décoratif, riche, intelligent, sensible, noble, courtois. Bref, le parti qui ne se refuse pas."

 

"Quand elle l'aperçut au milieu des danseurs, Anny pensa « C'est qui, cette pute ? ». Le maquillage ruiné par la sueur, le corps bridé dans un bustier de lycra, un court tissu glissé autour du bassin en guise de jupe, la fille lui sembla une grue qu'on loue à la soirée. Bon marché en plus ! Oui, Anny ne vit d'abord, au-dessus des cuisses nues où scintillaient des paillettes, en haut des bottes aux talons géants qui obligeaient les fesses à pointer, qu'une de celles dont les journaux gratuits proposaient le portrait à la page « Escortes ».
Or, à cause de son malencontreux voisin qui se croyait le roi du dance floor, Anny dérapa, moulina des bras et tomba en avant, se rétablit in extremis ; aux mouvements symétriques qu'exécutait la pouffiasse d'en face, elle constata qu'il s'agissait d'elle-même dans le miroir.
En se reconnaissant, elle hennit.
Cela l'amusa."

 

"Il y avait donc 2 Anne. Elle et l'autre. (...)
En réalité, l'autre Anne, c'était Anne selon les autres. Le peu qu'ils en comprenaient. L'image inexacte qu'ils s'en formaient."

 

"Elle a raison lorsqu'elle présage que mon chemin se complique. Cependant, qu'est-ce qui est le plus difficile ? Souffrir de faire ce qu'on n'aime pas ou souffrir pour faire ce qu'on aime ? "

 

"Je réprouve la hiérarchie...celle séparant les hommes et les animaux. Nous nous croyons supérieurs.
... Les animaux se nourrissent mais ne déclenchent pas de guerres. Les animaux se battent mais ne se torturent pas. Les animaux respectent les forêts au lieu de les détruire pour y coucher des villes et des pavés. Ils n'enfument pas les nuages, ils demeurent discrets, à leur place.
- Tu les idéalises. Par exemple, ils se volent les uns les autres.
- Soit, mais un terrier ou une pomme leur appartiennent dans la mesure où ils s'en servent. As-tu jamais vu un oiseau posséder plusieurs nids ? Ou un renard repu surveiller une carcasse qu'il ne mangera pas ? Il n'y a pas de riches, chez les animaux, aucun n'entasse des biens surnuméraires, des fortunes dont il ne profite pas.
- Que veux-tu dire ?
- Que la seule justification de la propriété, c'est le besoin. Tout ce dont on n'a pas l'usage, on doit le donner. Du reste, ce n'est même pas donner, c'est rendre.
- Vraiment ?
- la charité ne constitue pas une vertu, elle rembourse une usurpation..."

 

 

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